Perspectives économiques par Jean Christophe Bataille

Publié le par alexandrefinanceconseil.over-blog.com

Analyse

 

Les perspectives de valorisation des actifs occidentaux seraient sans doute très mauvaises sans les créations monétaires de ces dernières années et la déflation ferait rage. J'ai déjà dit combien je pensais que les mesures d'urgence prises par les banques centrales avaient été salutaires dans cette crise. Toutefois, nul ne peut vraiment savoir quand les mesures d'assouplissement monétaire vont s'arrêter et quelle sera l'issue de cette crise majeure. L'objectif atteint par ces mesures a été, à l'évidence, de resolvabiliser les acteurs économiques américains et européens en apportant de la liquidité et, si nous extrapolons sur les intentions actuelles de Ben Bernake, en essayant de créer de l'inflation. Cette inflation finira à mon avis par se produire mais les scénarios qui peuvent y conduire sont au nombre de quatre :


A. Une inflation importée liée, entre autres facteurs, à une montée excessive du prix des matières premières en dollars. L'inflation se ferait via les émergents. C'est la tendance actuelle et sans exclure les autres, ce serait pour moi le scénario le plus probable.

 

La séquence serait la suivante :

1. Le Quantitative Easing 2 se déverserait sur les matières premières pendant de nombreux mois.

2. Le prix des matières premières deviendrait encore plus élevé qu'aujourdhui du fait des liquidités créées. L'inflation monterait chez les émergents, ce qui est dejà le cas.

3. Y aurait-il un Quantitative Easing 3 ? Si c'est le cas, retour à la case 1.

4. Les émergents augmenteraient progressivemement leurs taux courts et taxeraient les entrées de capitaux pour protéger leur monnaie et éviter une dérive inflationniste. C'est ce qu'ils font déjà. Le risque le plus important pour eux est celui de l'inflation des produits alimentaires et des troubles sociaux qu'elle entrainerait (émeutes de la faim). Les chinois se souviennent parfaitement que les évènements de Tien an Men ont été provoqués par une inflation brutale des denrées alimentaires. La Chine subit déjà 60 % d'augmentation de ces produits et si la classe moyenne est devenu importante, il existe encore beaucoup de gens pauvres en Chine qui ne supporteront pas cette inflation, en tout cas pas sans hausse des salaires. Ce risque impliquerait une réaction très vive des autorités chinoises, indiennes et de façon générale chez tous les émergents. La Chine monte déjà ses taux et augmente les ratios de solvabilité de ses banques pour absorber la liquidité. Je parie qu'en cas de tension trop forte sur les prix, elle augmenterait ses taux cours de près de 200 points de base. Le Brésil a déjà commencé à taxer les capitaux étrangers qui pénétrent sur son territoire. La Corée en brandit la menace.

5. Le dollar créé en excès trouverait pourtant son chemin dans l'économie mondiale et cela n'empêcherait pas une appréciation des matières premières qui pourraient être suivie d'une montée des salaires émergents en monnaie courante. Cette solution médiane serait préférable pour la Chine à un coup d'arrêt de son économie par une hausse trop brutale des taux courts. Cette augmentation des salaires serait d'autant plus intéressante pour les émergents qu'elle développerait leurs marché intérieur et conforterait leur indépendance vis à vis du monde occidental. Ces évolutions devraient induire par l'exportation d'une hausse des prix des produits et des services, une poussée inflationniste par les coûts dans beaucoup de pays occidentaux. Reste à savoir lesquels seraient les plus vulnérables à cette inflation ... Nombreux seraient ceux qui ne pourraient pas ou ne souhaiteraient pas monter leurs taux courts pour lutter contre la dévalorisation de leur monnaie alors qu'ils auraient largement utilisé la planche à billets pour resolvabiliser leurs acteurs économiques et financiers. Le ressèrement monétaire serait de toute façon moins efficace contre l'inflation importée (celle des occidentaux) que contre l'inflation par la demande (celle des émergents). Le moyen de lutter contre l'inflation importée est d'avoir une monnaie forte conditionnée par une bonne situation financière (ratio recettes sur dettes raisonnable et masse monétaire stable). Ce n'est pas du tout le cas des USA, mais cela pourrait être l'atout de certains pays européens plus stables comme l'Allemagne qui feraient moins d'inflation que les Etats-Unis. Les mécanismes de cette inflation importée sont simples : plus le dollar chute, plus les importations de matières premières coûtent cher à l'Amérique et plus ses prix à la production sont élévés. Plus le dollar chute, plus les produits importés des pays émergents hors Chine lui coûtent cher et plus ses prix à la consommation augmentent. Plus l'inflation augmente en Chine, plus les coûts salariaux en yuans augmentent, plus les prix à la consommation augmentent aux Etats-Unis. Ce qui empêche l'inflation américaine aujourd'hui est la parité fixe Yuan Dollar puisqu'elle permet aux américains de consommer à bas prix (Walmart economy). On peut imaginer la mise en orbite des prix américains et occidentaux en général si les pays émergents disparaissaient d'un coup. Faut-il y trouver l'explication des exigences américaines sur la réévaluation du Yuan pour stimuler l'inflation aux USA ? Le Quantitative Easing 2 ne pourrait-il pas être une bonne façon d'augmenter la parité de change réelle Yuan / Dollar malgré une parité fixe très basse en nominal ? Enfin, si tous les prix à la consommation augmentaient fortement aux USA, je reste persuadé que les salaires seraient indexés sur les IPC, quel que soit le niveau du chomage. Cf. années 70.

6. La hausse des taux courts des émergents, la baisse de l'investissement et la montée excessive du prix des matières premières finiraient par freiner la croissance des émergents et par ricochet celle des occidentaux déjà mal en point. On observerait alors une stagflation récession avec pentification majeure de la courbe des taux dans certains pays occidentaux incapables de lutter contre la dévalorisation monétaire sous peine de faire plonger gravement leur économie. On ne constaterait en revanche qu'un ralentissement appuyé chez les émergents dans un contexte de désinflation salutaire pour eux, comme durant la crise de 2008-2009. Cette stagflation en occident aurait cependant pour effet de nous désendetter à bon compte. C'est la solution qui a été mise en oeuvre par les américains pour apurer la dette de leur pays après la guerre de 1940.

7. L'appréciation des matières premières et des actions émergents très importante en monnaies occidentales pourrait se poursuivre pour atteindre des sommets et perdurer jusqu'à ce que la décision de ressérer l'étau monétaire soit prise. Autant dire que la bulle des matières premières devrait durer jusqu'à ce que l'endettement global occidental ait atteint un niveau plus raisonnable. L'annonce de la hausse des taux courts occidentaux devrait être le signal pour nous de l'arbitrage d'une partie de nos matières premières et de nos actions émergentes contre des produits de taux à échéance longue.

7. Le caractère très excessif du prix atteint par les matières et l'action conjuguée de la hausse des taux courts pourrait engendrer un contre choc et une nouvelle récession mondiale. Elle pourrait en revanche venir progressivement à bout de l'inflation. Les matières premières rechuteraient alors dans les monnaies fortes (yuan décorrélé du dollar ?, euro soutenu par une politique de rigueur à l'allemande, réal brésilien ? dollar australien ?) et baisseraient moins en monnaie courante pour les monnaies faibles (dollar, livre anglaise ?, yen ?, euro si l'allemagne perd son combat ?).

8. Ce serait alors le moment de renforcer les matières premières dans les portefeuilles en particulier si l'euro a tenu bon car celles-ci seront pour la plupart condamnées à regrimper fortement en tendance long terme.

 

B. Une fuite devant le dollar ou hyperinflation après un krach obligataire aux USA.

 

La séquence serait plus simple :


1. Les créanciers habituels de l'Amérique fuient actuellement le dollar. Leur désengagement sur la portion longue des taux devient préoccupant. C'est une des raisons de l'assouplissement monétaire N°2.

2. Si l'émission de dollars ex-nihilo se poursuivait, la demande venant de l'étranger pour la dette américaine risquerait de tendre vers zéro, les mesures non conventionnelles prenant le relais de cette fuite devant le dollar.

3. Les américains eux-même finiraient par prendre conscience que l'argent de leur épargne et de leur retraite par capitalisation serait en train de se déprécier fortement par dilution dans une émission monétaire sans rapport avec la progression des richesses créées.

4. Les fonds obligataires et les plans de retraite américains subiraient dans ce cas des sorties massives de capitaux, en déclenchant un krach obligataire avec ascension brutale des taux longs aux Etats-Unis mais aussi partout ailleurs.

5. Les capitaux iraient se réfugier sur les biens tangibles dont la valeur faciale augmenterait de façon considérable.

6. La seule solution pour éviter la désintégration des patrimoines serait de posséder des biens tangibles comme de l'immobilier, de l'or, de l'argent, des sociétés minières de matières premières, des actions à haut rendement pérennes, des oeuvres d'art de grande notoriété, des forêts, une voiture, un vélo, une pompe à vélo, etc  ... Tout bien tangible qui ne serait pas de la dette, du cash ou même des actions cycliques occidentales !

7. Les trackers baissiers sur les T bonds avec levier 2 ou les shorts CFD obligataires verraient leur valeur exploser. En posséder serait une énorme sécurité mais le coût du portage des CFD ou le béta slippage des trackers doivent nous conduire à un parfait timing d'achat. J'y réfléchis très sérieusement en produit d'assurance couverture contre l'hyperinflation .

8. Ce scénario serait dévastateur pour les monnaies occidentales. La couverture en or physique serait le meilleur recours.

 

Cette hypothèse n'est pas la plus probable pour moi bien qu'elle soit mis en avant par bon nombre de publications catastrophistes (GEAB en particulier). Le Japon a prouvé que les épargnants domestiques d'un pays pouvaient acheter pendant longtemps sa dette au delà des ratios de solvabilité. Si les rachats de nouvelles dettes par la FED se poursuivent et si les caisses de retraite US continuent à les acquérir, le krach obligataire américain pourrait se faire attendre encore un bon moment, surtout si une inflation par les coûts vient entre temps apurer progressivement la dette ...

 

C. Une fuite devant l'euro ou hyperinflation après un krach obligataire européen qui se généraliserait au monde occidental.


C'est la crainte nourrie par les marchés actuellement.

 

1. Les pays en difficulté comme la Grèce et l'Irlande contamineraient d'autres pays européens un peu moins fragiles et pousserait les taux de refinancement à long terme à des niveaux insupportables.
2. La montée des taux longs des PIGs ferait croitre leur dette sans perspective de sortie de crise obligataire.
3. L'euro poursuivrait sa chute jusqu'à ce qu'une décision politique soit prise.

4. La restructuration de la dette de certains PIGs serait mis en oeuvre et ces pays sortiraient de l'euro qui resterait la monnaie d'un noyeau dur comprenant la France. Autre scénario : la zone euro exploserait complètement et chaque pays retrouverait sa monnaie d'avant 2001. Cette deuxième solution me parait être la moins probable.

5. L'Amérique serait contaminée et la dette américaine ne tiendrait pas longtemps nous ramenant à l'hypothèse B. pour le dollar. La divergence actuelle entre le CAC 40 et le SP 500 devant le problèmes des dettes souveraines relève pour moi essentiellement de l'autisme américain.

5. L'or monterait en euros dans un premier temps pour rebaisser ensuite rapidement si une zone euro à quelques pays solides continuait d'exister. Dans ce cas, l'euro pourrait devenir une monnaie beaucoup plus forte que le dollar et serait sous la tutelle de l'Allemagne qui n'en est pas à son coup d'essai.


Cette hypothèse C dont la probabilité n'est pas négligeable, n'est pas mon scénario central car la crise est avant tout d'origine américaine et si on devait observer une fuite devant la monnaie, c'est ce pays qui devrait donner le top départ de la déflagration monétaire. Sa situation est à mon avis plus mauvaise globalement que la situation européenne si on exclue la Grèce et l'Irlande. Je m'en expliquerai dans le deuxième article de cette série.

 

D. L'inflation ne se déclencherait pas rapidement selon A B ou C car la montée des matières premières et la hausse des taux créeraient une récession par asphyxie de l'économie avec double dip mondial avant d'avoir pu relancer les prix. On observerait un cycle déflation-slumpflation.

 

C'est l'hypothèse dans laquelle pourraient se réfugier les déflationnistes après l'échec de la théorie de la déflation directe liée au deleveraging occidental. Ce serait la plus avantageuse dans un premier temps pour les rentiers obligataires, la pire pour la jeunesse et le futur de l'économie mondiale. La dépression ferait rage et l'endettement deviendrait chroniquement irrécouvrable en occident du fait de la chute du prix des biens, du plongeon des IPC et des salaires, et de la surévaluation croissante en monnaie constante du service de la dette. Les agents économiques endettés publics ou privés finiraient par faire défaut, ce qui engendrerait une hyperinflation beaucoup plus grave et assimilable à une slumpflation. C'est le modèle de ce qu'a subi l'Argentine en 1998. Dans un cadre beaucoup plus large, englobant de nombreux pays, le risque de conflits et de guerres civiles serait majeur. Cf la fin des années 30.

 

Cette hypothèse est pour moi la moins probable. Les émergents devraient continuer à tirer largement l'économie mondiale malgré une atonie très prolongée en occident. La hausse des taux longs devraient être contrôlée par les mesures non conventionnelles et les achats domestiques d'obligations souveraines pendant encore longtemps. L'histoire l'a prouvé, la récession et le contre-choc liés à la hausse des matières premières sont arrivés bien après la stagflation importée dans les années 70. Je ne vois aucune raison pour que le mécanisme s'inverse ce coup-ci. D'autre part, les grands états feront tout pour affaiblir profondément leur monnaie plutôt que de rendre leurs dettes irrécouvrables. C'est la voie choisie par les grandes banques centrales. Je l'ai déjà dit, c'est pour moi de loin le chemin le plus pertinent pour résoudre cette crise à long terme.

 

Jean Christophe Bataille.

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